L'indicateur d'intensité carbonique (IIC) et son impact sur le secteur mondial du transport maritime
dans Tendances par Raghib RazaLe dernier rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) a réveillé le monde en l'empêchant de suivre aveuglément la frénésie économique au détriment de l'environnement. Selon les prévisions du GIEC, la température mondiale pourrait augmenter de 10F au cours de la prochaine décennie[1].
Dans ce désastre environnemental, l'industrie maritime se trouve être un contributeur important. Le site 4e étude de l'OMI sur les GES indique que les navires du monde entier ont émis 1076 millions de tonnes de gaz à effet de serre en 2018, ce qui représente près de 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre [2][3]. L'OMI a pesé de tout son poids pour mettre un frein à cette croissance incontrôlée des émissions et limiter les dégâts.
L'OMI s'est fixé l'objectif ambitieux de réduire les émissions de CO2 de 40 % par rapport au niveau de 2008 d'ici 2030 et de 70 % d'ici 2050 [4]. Pour atteindre cet objectif, l'OMI a introduit des mécanismes tels que l'EEDI (Energy Efficiency Design Index ), l'EEXI (Efficiency Existing Ship Index) et maintenant le dernier en date est l'indicateur d'intensité de carbone (CII).

Qu'est-ce que la CII ?
En substance, l'IIC mesure l'efficacité avec laquelle un navire transporte ses marchandises ou ses passagers en termes d'émissions de CO2. Plus précisément, le CII correspond aux grammes de CO2 émis par tonne de cargaison transportée sur chaque mille nautique. Il s'agit de l'une des réglementations adoptées par l'OMI en juin 2021 et qui entrera en vigueur le 1er janvier 2023. Elle s'applique à tous les navires de charge, les navires à passagers et les navires de croisière de plus de 5000 GT [5].
La valeur CII d'un navire sera évaluée chaque année et comparée aux valeurs CII de référence déterminées par l'OMI. Les données d'émission de 2019 fixent la ligne de référence. Sur la base de cette comparaison, les performances de chaque navire seront notées sur une échelle de A à E, A étant la meilleure note. Si un navire obtient la cote CII équivalente à la ligne de référence, il se retrouvera au milieu de la cote C, les meilleures et les moins bonnes performances conduisant progressivement à des rangs supérieurs ou inférieurs. Pour le début de l'année 2023, la ligne de référence sera fixée à 5 % de réduction des émissions par rapport au niveau de 2019, puis passera progressivement à 11 % de réduction d'ici 2027 [6][7].
Quel sera l'impact de la CII sur le secteur des transports maritimes ?
Avec l'adoption de directives et d'outils tels que la CII, l'EEXI, le SEEMP, etc., l'OMI s'efforce de réduire l'empreinte carbone du secteur maritime. Cependant, certains experts du secteur estiment que l'OMI a peut-être fait un excès de zèle dans la réduction des émissions. Une analyse réalisée par ABS à partir des données de l'EU-MRV 2019 suggère que 92 % de la flotte actuelle de porte-conteneurs, 86 % des vraquiers, 74 % des pétroliers, 80 % des transporteurs de gaz et 59 % des méthaniers devraient être modifiés et faire l'objet de changements opérationnels pour atteindre une efficacité énergétique de niveau A, B ou C [8].
FleetMon dans le domaine de la recherche et du développement : EmissionSEA - Extrapolation des émissions des navires

Le combat de l'armateur
D'après les données ABS ci-dessus, il est évident qu'un grand nombre de navires devront être modernisés pour obtenir un classement CII favorable. Obtenir un financement pour cette mise à niveau sera un défi pour les petits armateurs qui ont souvent des navires plus anciens, car le financement des navires évolue rapidement vers des objectifs d'environnement, de durabilité et de gouvernance (ESG). Les principes Poséidon et les chartes Sea Cargo sont essentiellement des cadres permettant d'intégrer les considérations climatiques dans les décisions financières du transport maritime. Le financement d'un navire mal classé CII augmenterait le risque du financeur, car un navire classé D aujourd'hui pourrait passer à un classement E demain lorsque le CII deviendra plus strict dans les années à venir [9].
L'OMI n'a pas explicitement prévu de sanction en cas de violation des directives CII. Cependant, on pense que les ports et les agences gouvernementales récompenseraient les navires sains classés CII en leur accordant des créneaux portuaires préférentiels, des avantages monétaires, etc. [10]. Ceci, à son tour, poussera les affréteurs à choisir des navires mieux classés CII, et en fin de compte, ce sera une affaire pour les armateurs. Dans les jours à venir, lorsque le monde sera encore plus soucieux de l'environnement, les affréteurs et les financeurs voudront mettre en avant leurs efforts en matière d'écologie et de durabilité. Toute association avec des navires mal classés CII aura un impact négatif sur ce plan. Ainsi, les petits armateurs qui ne parviennent pas à obtenir de bonnes notations pour leurs navires risquent d'être tués à petit feu.
Avec la CII, les problèmes de ces armateurs vont de l'obtention de financements à la recherche d'affaires. Les armateurs seront toujours sur le qui-vive pour trouver de nouveaux moyens d'améliorer leur classement et d'obtenir des contrats. Les experts estiment qu'une CII stricte pourrait contraindre de nombreux armateurs à mettre au rebut des navires, même relativement jeunes. Les navires mis hors service à un âge précoce créeront un vide dans l'offre, car la mise en service de nouveaux navires prend quelques années. Actuellement, les acteurs du secteur hésitent à mettre en service des navires qui seraient probablement bientôt obsolètes, compte tenu de l'époque tumultueuse et de l'afflux de réglementations et de technologies en constante évolution [9][11].
Le défi de la chaîne d'approvisionnement
Panos Mitrou, responsable du segment Global Gas chez Lloyd's Register, déclare que dans le segment GNL, plus de la moitié des navires GNL ne seront pas en mesure d'atteindre les notations A, B ou C en 2023. Il explique que ces navires sont équipés de technologies anciennes et qu'ils ont besoin d'une mise à niveau durable et coûteuse pour obtenir des classements CII satisfaisants. Il craint qu'avec des exigences CII de plus en plus strictes chaque année, de plus en plus de navires deviennent inopérants et qu'une crise de l'offre et de la demande ne se produise dans le segment du GNL. M. Mitrou explique qu'en dépit des nombreux nouveaux venus dans le secteur de la construction de navires GNL, la demande croissante dépasse de loin l'offre. La pénurie de navires GNL conformes aux normes CII fera grimper les frets en flèche, ce qui aura un impact direct sur la transition énergétique mondiale, le monde essayant de passer du charbon au GNL [12].
Même dans le segment des conteneurs, les grands navires seront plus performants que les petits en termes d'efficacité opérationnelle. Cela créera une pénurie de l'offre, augmentera considérablement les taux de fret, et provoquera même des tendances monopolistiques ou oligopolistiques parmi les acteurs restants, ce qui fera encore augmenter les taux.
Des études indiquent que les pays les moins avancés et les petites nations insulaires en développement seront les plus touchés par ce changement. En effet, ces pays importent fréquemment des produits essentiels tels que le pétrole brut, le bois, les produits agricoles, etc., ce qui les rend très sensibles aux variations des taux de fret. La chaîne d'approvisionnement est déjà fragile, compte tenu des événements récents tels que la pandémie, la pénurie de conteneurs et la guerre russe en Ukraine, qui sera inévitablement suivie de lourdes sanctions commerciales de la part des gouvernements occidentaux et des organismes intergouvernementaux. La CII pourrait ajouter de la tension à la chaîne d'approvisionnement mondiale déjà en difficulté dans son format actuel en ces temps difficiles.
Comment maintenir une bonne CII
L'indice CII dépend de la consommation de carburant pendant le voyage, qui dépend elle-même de l'exploitation du navire, de son efficacité technique et du carburant utilisé. Même si chaque armateur est libre de choisir la manière de procéder, l'OMI recommande une combinaison de mesures opérationnelles et techniques pour résoudre le problème de l'obtention constante d'une bonne note CII.
Mesures opérationnelles pour obtenir une bonne CII
L'OMI impose une mesure opérationnelle consistant à réviser le SEEMP (plan de gestion de l'efficacité énergétique des navires) pour y inclure le plan de collecte des données sur la consommation de fuel des navires. Ce plan comprendrait également une description de la méthodologie utilisée pour la collecte des données et des plans visant à améliorer les classements CII pour les trois prochaines années [13]. Cela représente toutefois un défi, car les propriétaires ne contrôlent pas directement le navire ; par exemple, dans le cadre d'un affrètement à temps, les instructions concernant les routes, le mouillage, la vitesse, le chargement et le déchargement, etc. proviennent de l'affrètement. Autre exemple : un affréteur veut que le navire maintienne une vitesse maximale pour sa cargaison pour une raison quelconque, l'émission de CO2 augmentera pour ce travail de transport donné du navire. Si l'affréteur ne parvient pas à obtenir des postes d'amarrage dans le port et que le navire doit se mettre au mouillage pendant une longue période, l'IIC du navire sera également affectée négativement. Cela signifie simplement que l'armateur paiera en termes d'AMG pour l'action de l'affréteur. Il doit y avoir un accord entre l'affréteur et l'armateur pour résoudre ce problème. L'affréteur devra donc céder ou ajuster quelques droits en faveur de l'armateur.
D'autres mesures opérationnelles comprennent l'optimisation des itinéraires pour éviter les conditions météorologiques difficiles, ce que l'on appelle le routage météorologique, et qui permet d'économiser environ 3 % de carburant sur un trajet [14]. L'analyse régulière des performances du navire et de la flotte, l'entretien du navire, la recherche et l'application des meilleures pratiques dans l'ensemble de la flotte, le fait de ne pas traîner dans les ports et la gestion de l'étranglement peuvent contribuer à améliorer considérablement les cotes d'écoute.
Normes techniques pour obtenir une bonne CII
Dans le domaine technique, la méthode la plus répandue pour réduire les émissions, qui est également soutenue par l'OMI [15], consiste à limiter la puissance de l'arbre et à réduire la vitesse, également appelée "slow steaming". Cette méthode peut réduire la consommation de carburant jusqu'à 59 % [16]. Dans le cadre de cette mesure, le moteur est généralement réglé pour mieux fonctionner à une vitesse inférieure, les turbos sont resynchronisés et les hélices changées. À première vue, cela semble remarquablement similaire à la gestion de l'accélérateur. Cependant, cette méthode est une mesure plus permanente et elle a surtout été adoptée par les navires qui se conforment à l'EEXI. Cette méthode peut être coûteuse et n'est pas très utile pour les vraquiers et autres grands navires qui opèrent déjà à des vitesses plus faibles.
Une autre mesure consiste à installer un système de générateur d'arbre. Ce système utilise la puissance du moteur principal en croisière au lieu des générateurs auxiliaires, ce qui permet d'économiser environ 3 à 5 % de carburant [17]. L'utilisation de meilleurs revêtements de coque pour réduire la traînée et de systèmes de récupération de la chaleur résiduelle améliore également l'efficacité.
Lire l'article complet : Le méthanol dans la bataille pour le carburant du futur

Le carburant de substitution est la clé
Des mesures plus radicales consistent à remplacer un ou plusieurs moteurs par une batterie GNL. Un navire, le VIKING PRINCESS, a signalé une réduction de 17 % de la consommation de carburant après l'installation d'une telle batterie [18]. Mais la dernière frontière à franchir pour réduire les émissions est de passer à un carburant durable, comme le GNL, le méthanol, l'ammoniac ou l'hydrogène. Pour l'instant, le candidat le plus prometteur est le GNL. Toutefois, le méthanol lui vole rapidement la vedette en raison de ses propriétés physiques souhaitables, de sa disponibilité et du fait que le méthanol vert rendrait le carburant sans émission nette. L'application de l'hydrogène et de l'ammoniac est plus lointaine en raison de l'absence d'infrastructures de ravitaillement. Néanmoins, elle est tout à fait possible avec l'aide d'entités telles que la Banque mondiale, la BERD ou la BEI.
Le sentiment général concernant les croisières est en train de changer. Les gouvernements donnent des coups de pouce au tourisme, ne serait-ce que pour soutenir l'économie. La récente déclaration de l'OMS sur la fin possible de l'insight covidien est également une bonne nouvelle, qui laisse espérer un redressement rapide du secteur des croisières.
La route à suivre
Il est facile d'oublier que le monde évolue rapidement et que nous regardons notre destin avec tous les détails techniques et juridiques. Les calottes polaires fondent, des espèces disparaissent et les conditions météorologiques changent. Transformer notre mode de vie est la seule option qui nous reste. Nous devons être intelligents et vigilants pour trouver la solution à ce problème sans perturber le monde avant que l'occasion ne nous échappe. Le changement est souvent perturbateur, mais il est de notre responsabilité de prendre la voie de la durabilité et de consacrer des efforts à l'optimisation et à la R&D pour découvrir de nouvelles méthodes et technologies. Nous devons orienter la chaîne d'approvisionnement mondiale vers les carburants durables et faire appel à des technologies telles que l'intelligence artificielle pour optimiser le transport des marchandises afin de réduire les émissions de carbone.
Vous avez aimé cet article ? Vous êtes vous-même rédacteur et vous êtes passionné par les sujets maritimes ?
Alors posez votre candidature en tant qu'auteur sur FleetMon!
Liste des références
[1] https://climate.nasa.gov/effects/
[2] https://ec.europa.eu/clima/eu-action/transport-emissions/reducing-emissions-shipping-sector_en
[3] https://www.imo.org/en/OurWork/Environment/Pages/Fourth-IMO-Greenhouse-Gas-Study-2020.aspx
[4] https://www.imo.org/en/MediaCentre/HotTopics/Pages/Reducing-greenhouse-gas-emissions-from-ships.aspx
[5] https://wwwcdn.imo.org/localresources/en/OurWork/Environment/Documents/Air%20pollution/MEPC.336(76).pdf
[6] https://wwwcdn.imo.org/localresources/en/OurWork/Environment/Documents/Air%20pollution/MEPC.337(76).pdf
[7] https://wwwcdn.imo.org/localresources/en/OurWork/Environment/Documents/Air%20pollution/MEPC.339(76).pdf
[8] https://splash247.com/will-the-carbon-intensity-indicator-re-shape-the-shipping-industry/
[9] https://link.springer.com/article/10.1007/s10784-020-09523-2
[10] https://www.imo.org/en/MediaCentre/PressBriefings/pages/42-MEPC-short-term-measure.aspx
[11] https://shipowners.fi/wp-content/uploads/2020/02/ISWG-GHG-7-2-20-Detailed-impact-assessment-of-the-mandatory-operational-goal-based-short-term-measure-Denmark-France-and-Germa....pdf
[12] https://www.lr.org/en/insights/articles/lng-fleet-seriously-exposed-to-cii-impact/
[13] https://www.classnk.or.jp/hp/pdf/tech_info/tech_img/T1139e.pdf
[14] https://gmn.imo.org/wp-content/uploads/2017/10/20140301-ITUMF_Ship-optimization.compressed.pdf
[15] https://wwwcdn.imo.org/localresources/en/OurWork/Environment/Documents/Air%20pollution/MEPC.335(76).pdf
[16] https://www.wartsila.com/docs/default-source/Service-catalogue-files/Engine-Services-2-stroke/slow-steaming-a-viable-long-term-option.pdf?sfvrsn=0
[17] https://glomeep.imo.org/technology/shaft-generator/#:~:text=Le%20potentiel%20de%20réduction%20est%202,de%20la%20consommation%20totaledu%20bateau.
[18] https://www.wartsila.com/marine/customer-segments/references/offshore/eidesvik-offshore
CNUCED. (2017). Examen du transport maritime 2017. Genève, Suisse : Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement.
Fugazza, M., & Hoffmann, J. (2017). La connectivité du transport maritime de ligne comme déterminant du commerce. Journal of Shipping and Trade, 2, 1. https://doi.org/10.1186/s41072-017-0019-5.
Psaraftis, H. N., & Kontovas, C. A. (2010). Balancing the economic and environmental performance of maritime transportation. Transportation Research Part D, 15(8), 458-462.
Chatzinikolaou, S., & Ventikos, N. (2016). Analyse critique des émissions atmosphériques des navires : réflexion sur le cycle de vie et résultats. Dans H. N. Psaraftis (Ed.), Green transportation logistics : the quest for win-win solutions. Cham, Suisse : Springer.